À l’époque où Fred Mazzella était étudiant à Stanford en 1999, les startups se multipliaient dans la Silicon Valley à un rythme incroyable. De nombreux entrepreneurs quittaient les bancs de l’école pour rejoindre la fièvre de la bulle technologique et certains prenaient même le risque de lancer leurs propres startups. Cette forte volonté d’essayer, de prendre le risque d’échouer, d’apprendre et de réussir fut une inspiration pour Fred. C’est à ce moment-là qu’il a compris qu’il pourrait envisager un jour de devenir entrepreneur.
En réalité, Fred débordait déjà d’idées. Il avait par exemple exploré la possibilité d’installer les écrans de bronzage UV dans les bureaux pour permettre aux employés de bronzer tout en travaillant. Après avoir découvert que les pneus d’avion sont rapidement usés par le fait de passer de zéro à plusieurs centaines de km/h en quelques secondes au moment de l’atterrissage, il a étudié la possibilité d’ajouter une hélice sur les pneus qui permettrait de prolonger leur durée de vie en les faisant tourner avant l’atterrissage. Il a conçu une plateforme permettant aux clients de transmettre leurs réclamations à différentes marques. Il a passé d’innombrables heures à développer un jeu de type sudoku appelé Honeybee. Il s’est aussi intéressé aux paris des courses de chevaux et a conçu des algorithmes pour en prédire les résultats. Il a lancé avec des amis BusyParis, une plateforme permettant aux expats vivant à Paris de trouver des appartements à louer. Certaines de ces idées ont donné lieu à des brevets, d’autres ont été écartées. Le pragmatisme et l’inflexibilité de Fred face à ses propres projets furent des atouts précieux. Si une idée ne fonctionne pas, il faut passer à autre chose.
Mais lorsque la bonne idée apparaît, il faut savoir la reconnaître et s’y consacrer sans limite, avec toute l’énergie possible. C’est exactement ce qui s’est passé quand l’idée de BlablaCar est née en décembre 2003. Le trio formé par Fred et les co-fondateurs de BlaBlaCar, Francis Nappez et Nicolas Brusson, rencontrés quelques années plus tard, s’est employé à construire un nouveau réseau de mobilité fondé sur un fonctionnement participatif, sur une communauté. Comme pour toutes les startups, les débuts n’ont pas été simples. Et aujourd’hui encore, tout n’est pas toujours facile. Qu’il s’agisse d’une nouvelle fonctionnalité ou du déploiement d’une campagne marketing, il est essentiel d’essayer et de prendre le risque de se tromper. Identifier les erreurs, partager les enseignements qui en découlent, les corriger et aller de l’avant sans les reproduire. Voilà en quoi consiste le progrès. Et c’est le postulat d’une des valeurs-clé de BlaBlaCar : « Fail. Learn. Succeed. ».
L’échec est une source d’apprentissage inestimable
Fred demanda un jour à l’un de ses professeurs de MBA à l’INSEAD s’il était envisageable de travailler sans modèle économique et de simplement fournir un service de covoiturage gratuitement. « Il vous faut un modèle économique, ou vous ne survivrez pas » fut sa réponse immédiate. Des mots durs, qui ont pourtant poussé Fred à explorer de nouvelles options et à prendre des risques. Cette recherche d’un modèle économique équilibré, qui permettrait d’assurer une pérennité financière tout en créant de la valeur pour les membres de la communauté du covoiturage, a finalement pris cinq ans ! Cinq années au cours desquelles l’équipe est restée ouverte à l’éventualité de l’échec, a testé six modèles économiques différents et a bénéficié d’une source d’apprentissage inestimable.
A l’époque, en 2007, de nombreuses entreprises et certaines administrations locales à travers la France souhaitaient intégrer à leur intranet une plateforme de covoiturage. Le but était de fournir à leurs employés un outil de partage des trajets afin de faciliter les aller-retour domicile – travail ; donc des distances courtes, souvent de moins de 20 km. Bien que ces demandes soient assez éloignées de l’idée initiale du covoiturage longue distance (qui comprend souvent des trajets entre des villes sur une distance moyenne de 300 km), l’équipe comprit rapidement que certaines entreprises étaient en demande de ce type de service business-to-business et prêtes à payer pour l’obtenir, pourquoi donc ne pas le leur fournir ?
IKEA, Carrefour et les Hôpitaux de Marseille ont fait partie des premiers à acquérir ce type de plateformes, suivis par plus de 200 entreprises au fil des années. Ces contrats ont constitué une importante source de revenus pour BlaBlaCar jusqu’en 2011 mais il a fallu consacrer énormément de temps, de ressources et d’attention pour concevoir ces multiples plateformes personnalisées destinées à diverses entreprises. Chacune d’entre elle ayant des besoins spécifiques, il s’avéra impossible d’utiliser une solution qui pourrait se développer à grande échelle. Avec le temps, il devint évident que ce modèle business-to-business ne pourrait pas prospérer et la décision de le supprimer progressivement fut prise en 2012.
Avant le bon modèle
Pendant ce temps, un modèle basé sur l’option Premium a été exploré : la prestation générale demeurait gratuite, mais les membres pouvaient choisir d’obtenir des services supplémentaires en souscrivant un abonnement payant mensuel ou annuel. Ainsi, les posts des membres VIP étaient positionnés en premier dans les résultats de recherches et ils recevaient un sms à chaque fois qu’un passager avait une question à leur poser. Il est toutefois vite devenu évident que cette façon de faire était injuste (parce qu’elle permettait à un membre d’acheter une position privilégiée) et peu prometteuse sur le plan économique.
Un forfait mensuel à prix fixe a également été mis en place et rapidement écarté. Certains membres se servant de BlaBlaCar seulement quelques fois dans l’année quand d’autres utilisent notre plateforme plusieurs fois par semaine, il était impossible de concevoir un abonnement équitable pour tous. Comme beaucoup d’acteurs Internet à l’époque, BlaBlaCar a aussi testé un modèle reposant sur la publicité, mais les données personnelles des membres auraient pu être communiquées à des entreprises et utilisées à des fins commerciales. La confiance étant une exigence fondamentale pour BlaBlaCar, la décision fut rapidement prise de ne pas s’engager dans cette voie. Les données personnelles des membres n’ont donc jamais été vendues.
Le modèle du Pont Téléphonique a alors été expérimenté. Les membres pouvaient choisir de masquer leur numéro de téléphone sur leur profil, tout en restant joignables par le biais d’un pont téléphonique payant. Les revenus du montant payé par les membres pour cette mise en relation étaient partagés entre l’opérateur téléphonique, la plateforme d’hébergement du pont téléphonique et BlaBlaCar. Ce système n’était pas très fiable puisqu’il n’y avait aucune garantie que le destinataire décrocherait son téléphone, ce qui pouvait être frustrant. De plus, cette solution était difficilement adaptable à l’international à cause des divers systèmes de paiement téléphonique en place dans les différents pays.
Le dernier modèle envisagé sur cette courbe d’apprentissage de cinq ans fut celui de l’Agenda évènementiel. Destiné aux organisateurs de concerts, de festivals mais aussi de particuliers organisant anniversaires ou mariages, il permettait de créer une page spécifique afin que les participants puissent voir tous les points de départ et d’arrivée et ainsi décider de voyager ensemble. Ce modèle est resté en place pendant plusieurs années, mais il nécessitait beaucoup de travail en aval et de modération des contenus pour un faible retour sur investissement.
Quand une décision cruciale conduit au succès
Le tournant décisif dans la création d’un nouveau modèle économique arriva après une expérience de covoiturage qui laissa Francis abasourdi. Deux passagers étaient déjà dans la voiture et ils attendaient tous trois patiemment le dernier. Après une demi-heure et plusieurs appels sans réponse, le passager manquant décrocha finalement son téléphone. Il s’était endormi. Francis proposa de venir le chercher directement à son domicile mais le passager répondit qu’il prendrait plutôt une place dans une autre voiture. Francis comprit à ce moment-là qu’il fallait faire quelque chose pour contrer ce type d’annulation. Si elle était sans conséquence pour le passager défaillant, elle ne l’était ni pour le conducteur, ni pour les autres passagers, ponctuels. Après des années d’efforts et de travail, l’équipe savait désormais qu’il était nécessaire de mettre en place un modèle transactionnel, dans lequel les passagers devraient payer leur place en ligne, avant le trajet prévu.
De tous les modèles économiques envisagés, le système transactionnel est celui qui fonctionne le mieux parce qu’il apporte de la fiabilité et renforce la confiance entre les membres de BlaBlaCar. Avant la mise en place des frais de réservation et du paiement en ligne, les passagers payaient le conducteur en espèces directement dans la voiture. Mais ils pouvaient aussi annuler une heure avant, voire ne pas se donner la peine de prévenir sans pour autant être pénalisés. Les conducteurs étaient donc contraints d’accepter des surréservations puisqu’ils n’étaient jamais certains que les passagers viendraient. Ce système avait pour conséquence d’ébranler la confiance entre passagers et conducteurs. Le nouveau modèle permet de créer un engagement mutuel entre le passager et le conducteur. Par conséquent, le manque d’efficacité est maintenant résolu et le nombre d’annulations a radicalement baissé : de plus de 35 %, il a chuté à moins de 3 %. Ce modèle est non seulement transparent et plus juste, ce qui permet croissance et fiabilité, mais il est également souple et adaptable, et peut donc être déployé à l’international.
« Fail, Learn, Succeed », un moteur d’innovation
Selon Einstein, la folie consiste à faire la même chose plusieurs fois en s’attendant à un résultat différent. Fidèle au génial inventeur, BlaBlaCar encourage donc le comportement opposé. Adopter l’état d’esprit « Échouer. Apprendre. Réussir. » est moteur d’innovation. Tous les jours, de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux outils sont testés au sein de BlaBlaCar. Tous les jours, l’équipe travaille à faire évoluer le service à travers des processus d’amélioration. Et tous les jours, tous sont encouragés à assumer leurs échecs et à adopter une autre valeur-clé de BlaBlaCar, « Share More. Learn More. » (Partager Plus. Apprendre Plus). Analyser consciencieusement les raisons d’un échec et prendre le temps d’approfondir ce qui a mal tourné permet de comprendre la véritable cause d’un problème, mais aussi d’en tirer un enseignement et de le partager, afin d’éviter à d’autres de faire la même erreur.
BlaBlaCar rassemble une équipe talentueuse de collaborateurs déterminés et passionnés par le covoiturage, il n’y a donc pas de place pour la culture du blâme. Reconnaître l’échec comme étape du processus d’apprentissage et prendre le risque d’échouer sont des démarches nécessaires pour innover avec succès.