BlaBlaCar permet de relier plus de cent mille villes du Brésil à l’Inde en passant par l’Europe, ce qui en fait le plus grand réseau de mobilité participatif au monde. Comme vous l’avez peut-être découvert dans l’article précédent, Nicolas Brusson était inflexible depuis le début sur l’idée que BlaBlaCar devait se développer à l’international dans un premier temps et ensuite seulement se concentrer sur la rentabilité. Pourquoi ? Parce que dans le monde d’aujourd’hui, être le leader national sur un seul marché n’est pas suffisant. Les utilisateurs veulent qu’on leur offre des solutions globales, et si on ne le fait pas, quelqu’un d’autre le fera. C’est particulièrement vrai pour l’Europe, qui est fragmentée en plusieurs marchés locaux. Nicolas a donc mené une analyse comparative des parcours réussis d’acteurs comme Skype, Spotify et SoundCloud, qui ont en commun d’avoir projeté une expansion internationale dès leurs débuts.
Écarter les fausses hypothèses est clé au succès
Il n’est jamais facile de lancer une entreprise dans un nouveau pays. C’est pourquoi BlaBlaCar a défini comme l’une de ses valeurs fondamentales « Never Assume. Always Check » (« Ne jamais supposer. Toujours vérifier »). Elle contribue à mener les développements géographiques dans le bon état d’esprit. C’est aussi un moyen d’encourager tout le monde chez BlaBlaCar à vérifier attentivement tout ce qu’ils font afin d’éviter les hypothèses erronées. La majorité des hypothèses se basent sur des croyances, des projections ou des expériences passées, elles mènent donc rarement à la vérité. Les équipes sont donc encouragées à recouper les informations pour vérifier leur validité, à poser des questions et à clarifier tous les doutes. Il faut parfois s’arrêter et se poser quelques questions supplémentaires avant de prendre une décision pour éviter le piège des hypothèses erronées et pour se baser sur les bonnes informations.
Quand le Brésil est apparu comme un nouveau marché potentiel, l’équipe s’est rendue compte qu’il n’y avait pas de réseau ferroviaire central en place dans le pays. Cette découverte aurait naturellement pu les conduire à penser que sans trains, le lancement de BlaBlaCar serait facile. Mais l’équipe poursuivit son travail d’enquête et découvrit rapidement que les avions étaient le mode de voyage incontournable entre Rio et Sao Paulo, avec plus de 90 vols par jour, sans compter les nombreuses compagnies de car, dont les services allaient du confort basic au plus grand luxe.
S’implanter dans un nouveau pays demande passion et persévérance
Au fil des ans, BlaBlaCar a mis en place un ‘playbook’ qui s’appuie sur les recettes des succès expérimentés lors des lancements précédents dans des nouveaux pays. Très complet, c’est un guide qui réunit aussi échecs et nouvelles méthodes, et qui ne se contente pas de donner une procédure à suivre étape par étape mais constitue une source de savoir en évolution permanente. Bien qu’aucun lancement ne soit jamais semblable aux précédents, environ la moitié des méthodes peuvent être reprises d’un pays à l’autre.
Une chose est sûre, le travail de terrain indispensable nécessite un travail intense et appliqué pour éliminer les hypothèses erronées et pour obtenir l’assurance nécessaire que s’implanter dans ce nouveau pays est la bonne décision pour BlaBlaCar. Les données démographiques et macroéconomiques, comme la population totale, le nombre de véhicules en circulation et les habitudes en ligne, jouent un rôle extrêmement important et sont des indicateurs précieux. Il faut ensuite déterminer l’attrait potentiel de BlaBlaCar pour les conducteurs, en prenant en compte leur pouvoir d’achat et le coût de la conduite. Le potentiel par rapport aux passagers est également étudié. BlaBlaCar serait-il facilement utilisable pour eux ? Serait-ce un bon moyen de leur permettre de voyager à moindre coût ? Vont-ils vraiment l’utiliser ? Avant le lancement de BlaBlaCar au Brésil, l’équipe trouva plusieurs groupes Facebook sur lesquels des personnes proposaient leurs propres services de covoiturage, ce qui prouvait que la demande existait déjà.
L’expertise locale est inestimable
Lorsque l’équipe explore de nouveaux marchés, ils se font un devoir de se rendre sur place et de rencontrer la population mais aussi les entrepreneurs locaux. Lorsqu’ils ont organisé des groupes de discussion pour un éventuel lancement en Inde, ils découvrirent que les jeunes salariés étaient un des groupes les plus réceptifs à l’offre de covoiturage de BlaBlaCar. Ils y voyaient une dimension sociale intéressante et une nouvelle façon originale de voyager.
Lorsque l’équipe fait des repérages sur place dans le cadre d’un marché potentiel, elle loue souvent une voiture pour expérimenter elle-même les trajets d’une ville à une autre mais aussi ceux qui nécessitent de traverser la frontière pour se rendre dans les pays voisins. Ils évaluent alors la difficulté du passage aux frontières, notent la qualité des routes, les distances, et étudient les voitures qu’ils voient passer pour déterminer si les gens voyagent seuls et s’ils ont des places libres dans leur voiture. Ils se sont rendus compte qu’en Inde par exemple, les gens voyagent rarement seuls en raison du prix de l’essence et de la longueur des distances. Ils vont donc souvent chercher au sein de leur famille, de leurs amis et de leurs voisins une ou des personnes qui souhaiteraient partager leur trajet. L’équipe de BlaBlaCar se rendit rapidement compte que le covoiturage était déjà en place socialement en Inde, et pressentit qu’introduire BlaBlaCar dans ce pays permettrait d’élargir les voyages possibles en créant plus de possibilités pour les conducteurs et pour les passagers.
Pénétrer de nouveaux marchés tout en restant pertinent au niveau local
Après avoir assimilé et analysé toutes les données, arrive la fameuse question de comment pénétrer un nouveau marché. BlaBlaCar s’appuie sur une combinaison de trois stratégies qui lui permet d’être immédiatement pertinent au niveau local : Acqui-hire (achat-embauche); Spin-off (défrayer une équipe du QG en local) ; et monter entièrement une équipe locale. Le modèle Acqui-hire est très efficace et consiste à racheter une entreprise locale pour bénéficier de son équipe et de son expérience. Les équipes locales connaissent les particularités locales et peuvent entrer en fonction immédiatement. Ils savent ce que les gens pensent réellement et comment ils parlent du produit. Ils comprennent l’état d’esprit des usagers, connaissent le système de transport et la concurrence. Ce sont aussi des entrepreneurs qui ont eux-mêmes créé leur entreprise, ne se sont pas payé pendant les premières années et pour qui la conviction que ça va fonctionner alimente la persévérance et la passion nécessaires à faire tourner une entreprise. BlaBlaCar donne donc aux country managers une grande autonomie et les moyens de réaliser leur vision à une plus grande échelle. Au fil des ans, BlaBlaCar a régulièrement mené des Acqui-hires et a fait équipe avec Superdojazd en Pologne, Podorozhniji en Russie, Rides au Mexique, Autohop en Hongrie et Croatie et Jizdomat en République Tchèque et Slovaquie.
Le covoiturage est encore en phase de développement, il arrive donc qu’il n’y ait pas encore d’acteurs locaux ou que l’acqui-hire soit simplement impossible. Dans ce cas, soit un collaborateur de BlaBlaCar vient s’installer dans le pays pour lancer le produit sur ce nouveau marché, soit une équipe locale est montée de toutes pièces. Dans les mois qui précèdent la date du lancement opérationnel, des collaborateurs de BlaBlaCar qui ont déjà été impliqués sur les précédents lancements viennent sur place pour partager leur savoir et guider l’équipe à travers les étapes du déploiement. Tout au long de ce processus, les collaborateurs apprennent et partagent beaucoup, et le playbook s’étoffe et s’enrichit.
Et le produit ?
BlaBlaCar s’efforce de maintenir un juste équilibre en gardant un produit homogène tout en s’assurant qu’il soit suffisamment adapté au contexte local. Grâce à son expérience passée, l’équipe a compris l’importance de ne jamais présumer que le produit BlaBlaCar tel qu’il existe va fonctionner parfaitement dans un nouveau pays. Après le lancement en Inde, l’équipe se rendit compte que les préoccupations quant à la sécurité étaient plus importantes dans ce pays que dans les autres. En échangeant avec les membres, ils ont compris que la mise en place d’une bio obligatoire (qui n’est pas en place dans les autres pays) sur les profils des membres en Inde serait un bon moyen de résoudre ces inquiétudes. Dans sa volonté d’assurer le meilleur service possible à ses membres, l’équipe a également mis en place la vérification d’identité (government ID check), que vous avez peut-être découverte dans l’article « The Member is the Boss » et qui a encore permis d’améliorer la confiance sur la plateforme en Inde.
Au fil des années, l’équipe BlaBlaCar a appris l’importance d’être pleinement conscient de ses hypothèses de départ pour avancer dans la bonne direction. En d’autres termes, mieux vaut prévenir que guérir, et mieux vaut donc vérifier ses présomptions avant d’investir énergie et ressources dans une nouvelle initiative. Chez BlaBlaCar, ce ne sont pas les hypothèses mais les faits qui guident les décisions.
